Le renouvellement d’un bail commercial se déroule selon des règles précises qui visent à protéger l’équilibre entre les droits du bailleur et ceux du locataire. Lorsqu’un bail arrive à son terme, la loi prévoit un mécanisme de plafonnement du loyer pour limiter les hausses excessives. Ce plafonnement s’appuie sur des indices de référence qui tiennent compte de l’évolution économique depuis la fixation initiale du loyer. Toutefois, il existe des exceptions à cette règle, notamment lorsque survient une modification notable des éléments servant à déterminer la valeur locative du bien. Parmi ces éléments figurent les obligations imposées à chaque partie par la loi ou le contrat, pouvant entraîner des charges nouvelles. Une question se pose alors : la création d’une nouvelle obligation légale d’assurance pour le bailleur peut-elle justifier un déplafonnement du loyer lors du renouvellement du bail commercial ? La réponse prend un sens particulier après une récente décision de justice qui éclaire ce point.
le cadre légal du plafonnement et du déplafonnement du loyer commercial
La fixation du loyer lors du renouvellement d’un bail commercial repose d’abord sur le principe du plafonnement. Ce mécanisme limite la hausse du loyer à la variation de l’indice de référence, tel que l’Indice des Loyers Commerciaux (ILC) ou celui des activités tertiaires (ILAT), entre la date de signature initiale et celle du renouvellement. Cette règle vise à éviter des augmentations jugées injustifiées pour le locataire.
Néanmoins, le code de commerce prévoit que ce plafonnement ne s’applique pas lorsqu’une modification notable a affecté certains éléments essentiels depuis la dernière fixation du loyer. Ces éléments sont listés à l’article L145-33 et comprennent notamment :
- les caractéristiques du local,
- la destination des lieux,
- les obligations respectives des parties,
- les facteurs locaux de commercialité.
Si une évolution significative intervient sur l’un de ces aspects, le bailleur peut demander une réévaluation « hors plafond », c’est-à-dire un déplafonnement du loyer, susceptible d’entraîner une hausse supérieure au simple jeu de l’indice.
étude de cas : création d’une nouvelle obligation légale d’assurance
Un exemple récent illustre parfaitement cette exception. L’affaire jugée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 23 janvier 2025 (n° 23-14887) portait sur un local commercial situé en copropriété. Selon la loi dite « alur » (loi n° 2014-366 du 24 mars 2014), le propriétaire non-occupant doit désormais souscrire une assurance responsabilité civile propriétaire non-occupant pour ce type de bien.
Dans ce dossier, le bailleur avait pris l’initiative de souscrire cette assurance dès 2007, soit avant que la loi ne lui en fasse obligation en 2014. Au moment où il sollicite le renouvellement du bail en 2015, il met en avant deux faits :
- la dépense liée à cette assurance a nettement augmenté entre 2007 et 2015,
- cette charge est devenue obligatoire par effet de loi durant la période couverte par le bail.
Le bailleur demande ainsi un déplafonnement du loyer en s’appuyant sur cette nouvelle obligation légale qui pèse désormais sur lui.
analyse de la réponse judiciaire : comment les juges appréhendent cette évolution ?
Les magistrats retiennent que même si le bailleur avait déjà choisi par prudence de s’assurer avant que cela ne devienne exigé par la loi, c’est bien le caractère laussi obligatoire apparu pendant le bail qui importe. La Cour considère donc :
- qu’une nouvelle charge imposée par une évolution législative constitue une modification notable,
- que cette modification affecte directement les obligations contractuelles et légales du bailleur,
- que l’accroissement réel des frais liés à cette assurance peut justifier un déplafonnement demandé au renouvellement.
À travers cette décision, les juges rappellent que seul compte le fait que l’obligation relève désormais de la loi, peu importe si elle était déjà appliquée volontairement auparavant.
quelles conséquences pour les parties au contrat ?
Ce raisonnement a plusieurs effets pratiques pour bailleurs et locataires. Pour y voir plus clair, voici un tableau synthétique :
Situation | Bailleur | Locataire |
---|---|---|
Nouvelle charge obligatoire (ex : assurance) | Peut demander le déplafonnement lors du renouvellement si justification d’une hausse significative | Doit anticiper une possible augmentation supérieure au plafond lors des négociations ou renouvellements |
Charge volontaire mais devenue obligatoire pendant le bail | Même possibilité d’invoquer le déplafonnement grâce au changement légal intervenu | Négocier et vérifier toutes les charges nouvelles apparues depuis la signature initiale |
Les bailleurs ont donc tout intérêt à surveiller l’apparition de nouvelles obligations légales générant des coûts en plus, car ils peuvent s’en prévaloir pour revoir le montant du loyer. Les locataires, quant à eux, doivent veiller aux changements réglementaires afin d’anticiper leurs futurs engagements financiers lors d’un renouvellement.
la surveillance des obligations légales : un enjeu clé dans la gestion des baux commerciaux
La veille constante sur les évolutions législatives s’avère essentielle pour toute personne concernée par un bail commercial. Comme le montre cet exemple lié à une assurance obligatoire instaurée par la loi alur, toute nouvelle charge imposée par un texte peut remettre en cause le plafonnement classiquement appliqué lors d’un renouvellement. D’autres situations analogues pourraient se présenter dans l’avenir : nouvelles normes environnementales entraînant des travaux obligatoires, taxes additionnelles spécifiques ou encore modifications substantielles des conditions d’exploitation imposées par voie réglementaire.
Pour éviter toute surprise lors d’une renégociation, il convient donc :
- d’identifier chaque évolution légale impactant les charges supportées ;
- d’intégrer ces éléments dans toute discussion préalable au renouvellement ;
- d’évaluer si ces changements relèvent effectivement d’une « modification notable » ouvrant droit au déplafonnement.
La jurisprudence récente incite chacun à adopter une approche dynamique dans la gestion des baux commerciaux afin de garantir une juste adaptation aux contraintes imposées par les lois nouvelles.