Calais : annulation judiciaire des arrêtés empêchant l’aide alimentaire aux migrants

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Par Nicolas

calais, au cœur des routes migratoires, connaît depuis des années des mesures de police administrative visant à encadrer la présence et l’aide apportée aux personnes exilées. entre octobre 2020 et janvier 2021, trois arrêtés préfectoraux interdisent la distribution gratuite de boissons et de nourritures sur vingt-et-un sites identifiés à l’est et au sud du centre-ville. plusieurs associations humanitaires saisissent alors la justice pour dénoncer des atteintes graves aux droits fondamentaux. en février 2025, la cour administrative d’appel de douai prononce l’annulation de ces arrêtés. ce jugement marque un tournant dans la reconnaissance des missions associatives et réaffirme l’encadrement strict dont doit faire l’objet toute restriction aux libertés dans le contexte migratoire.

intérêt à agir des associations dans le contentieux administratif

en droit public, le recours contre un acte administratif suppose que le requérant justifie d’un intérêt à agir. cela signifie que seule une structure dont l’objet social est directement touché par la mesure contestée peut saisir le juge.

dans cette affaire, la cour administrative d’appel reconnaît cet intérêt à plusieurs associations engagées auprès des migrants. figurent parmi elles  : secours catholique – caritas france, médecins du monde, fédération des acteurs de la solidarité, l’auberge des migrants, emmaüs france, ligue des droits de l’homme et salam. leur mission statutaire concerne explicitement la défense ou l’assistance aux personnes migrantes ou en situation de précarité.

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la cour apporte aussi des précisions sur certains dossiers particuliers  :

  • une association dont les statuts sont rédigés en anglais (help refugees – prism the gift fund) conserve sa capacité à agir.
  • utopia 56, active sur tout le territoire même si son siège est hors région, est reconnue compétente pour contester les arrêtés touchant calais.
  • une fondation dédiée principalement à l’accès au logement, sans activité directe sur la distribution alimentaire, ne justifie pas d’un intérêt suffisant.
  • les syndicats professionnels (syndicat de la magistrature, syndicat des avocats de france) ne peuvent agir, leurs missions n’étant pas affectées par les arrêtés visés.

la cour rappelle aussi que si une requête collective réunit plusieurs requérants, le défaut d’intérêt chez certains n’entraîne pas l’irrecevabilité globale du recours.

structureintérêt à agir reconnu par la cour
secours catholique – caritas franceoui
médecins du mondeoui
auberge des migrantsoui
emmaüs franceoui
salamoui
utopia 56oui (même hors région)
help refugees – prism the gift fund (statuts en anglais)oui
fondation œuvrant pour le logementnon (pas d’intérêt direct)
syndicat de la magistrature / avocats de francenon (pas d’atteinte aux missions professionnelles)

motifs d’annulation retenus par la cour administrative d’appel de douai

le préfet du pas-de-calais justifie ses arrêtés par trois principaux arguments  : risques pour la tranquillité publique, insalubrité liée aux déchets et risque épidémique lié au covid-19.

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a) tranquillité publique  : absence de lien direct avec les distributions alimentaires

le représentant de l’état invoque plusieurs mains courantes évoquant rixes ou troubles lors de rassemblements. l’examen du dossier montre que ces faits restent ponctuels et sans gravité notable  : présence isolée de personnes alcoolisées devant un centre social ou dans un parc, tentative d’intrusion rapidement dispersée… surtout, aucun élément ne prouve que ces incidents découlent directement des distributions organisées par les associations.

b) insalubrité  : existence d’alternatives moins restrictives

l’argument selon lequel les distributions génèrent un dépôt sauvage de déchets est aussi analysé. la cour observe que les associations peuvent effectuer leurs actions ailleurs dans calais, ce qui ne règle donc pas le problème global du dépôt sauvage. elle souligne aussi qu’une solution moins contraignante existe : installer plus de poubelles à proximité des lieux concernés aurait permis d’atténuer ce problème sans interdire l’aide alimentaire.

c) risque épidémique  : absence de circonstances locales spécifiques

le préfet évoque enfin le contexte sanitaire exceptionnel lié au covid-19 pour justifier une interdiction totale. or, au moment où il prend ses arrêtés, l’état a déjà adopté des mesures nationales strictes dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. la cour rappelle qu’un représentant local ne peut doubler ces mesures qu’en cas de « raisons impérieuses liées à des circonstances locales ». aucune spécificité locale n’est ici démontrée  : densité normale sur les sites concernés, absence de situations épidémiques aggravées… au contraire, obliger les migrants à se déplacer vers d’autres lieux pour obtenir nourriture ou boisson accroît même le risque de transmission.

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raisonnement juridique suivi par la juridiction administrative

pour statuer sur ce litige, la cour applique un contrôle en trois temps  :

  • nécessité : demander si une interdiction était indispensable pour atteindre l’objectif visé.
  • adaptation : vérifier si la mesure retenue correspond bien à la situation locale.
  • proportionnalité : s’assurer que les restrictions n’excèdent pas ce qui est requis pour protéger l’ordre public ou la santé.

ici, le juge souligne qu’une interdiction générale n’est ni nécessaire ni adaptée ni proportionnée face aux objectifs visés :

  • elle ne résout pas les problèmes sanitaires ou sécuritaires,
  • elle restreint fortement une mission associative légitime,
  • elle n’est pas justifiée par un contexte local spécifique.

extrait du jugement : «  le préfet n’a fait valoir aucune spécificité propre à calais… il n’existait pas dans les zones visées […] des densités particulièrement fortes […], cette interdiction renforçait encore le risque […]  ».

quelle portée pour cette décision sur l’action associative et les libertés fondamentales ?

la décision rendue par la cour administrative d’appel de douai protège concrètement l’action humanitaire menée auprès des migrants à calais. elle démontre que toute restriction imposée par une autorité locale doit être strictement justifiée et encadrée juridiquement. ce contrôle renforcé rappelle que les interventions associatives relèvent souvent du respect effectif des droits fondamentaux tels que le droit à l’alimentation ou à la dignité humaine.

ce jugement invite aussi les autorités publiques à privilégier le dialogue avec les associations plutôt qu’à recourir systématiquement à l’interdiction. il pose enfin les bases d’une réflexion sur l’équilibre entre police administrative et action solidaire dans les espaces publics urbains.

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