Reprise facilitée des terres agricoles louées par les sociétés familiales : focus sur les conditions et limites

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Par Nicolas

Le bail rural organise la mise à disposition de terres agricoles entre un propriétaire et un exploitant. De nombreuses sociétés, dont des sociétés civiles immobilières (SCI) ou des groupements agricoles, utilisent ce type de contrat pour louer leurs terres à des agriculteurs. Le droit de reprise permet à ces sociétés, sous certaines conditions, de récupérer les terres louées pour les exploiter directement ou les transmettre à des membres du cercle familial. Les règles qui encadrent cette démarche évoluent, et la jurisprudence récente vient préciser le contour de ce droit, notamment lorsque la société est familiale.

le droit de reprise : définition et intérêt

Le droit de reprise permet au propriétaire ou à la société propriétaire d’interrompre le bail rural avant son terme pour exploiter lui-même les terres ou les confier à un membre proche. L’objectif est d’assurer la transmission ou la gestion directe des terres, sans attendre l’expiration du bail. Ce droit vise aussi à protéger l’intérêt familial et la continuité de l’exploitation agricole.

Pour une société propriétaire, exercer le droit de reprise garantit la gestion active de son patrimoine foncier et offre une souplesse dans la stratégie familiale ou professionnelle.

conditions générales pour exercer le droit de reprise

En règle générale, deux conditions doivent être respectées pour qu’une société puisse exercer ce droit sur des terres agricoles données à bail  :

  • durée minimale de détention des terres  : les terres doivent avoir été apportées à la société, en propriété ou en jouissance, depuis au moins 9 ans avant que le congé ne soit délivré au locataire.
  • détention des parts sociales  : les associés ayant vocation à exploiter les terres doivent détenir leurs parts sociales depuis au moins 9 ans si ces parts ont été acquises à titre onéreux.
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Ces règles s’appliquent pour éviter que des propriétaires réorganisent artificiellement leur patrimoine dans le seul but de reprendre rapidement les terres louées.

exception en faveur des sociétés familiales

La cour de cassation précise qu’une exception existe pour les sociétés constituées exclusivement entre membres d’une même famille. Dans ce cas, les deux conditions citées plus haut ne s’appliquent pas. La société peut donc exercer le droit de reprise sans devoir justifier une détention ancienne des terres ni une durée minimale de détention des parts par les associés concernés.

Les sociétés concernées regroupent  :

  • conjoints
  • partenaires liés par un pacte civil de solidarité (pacs)
  • parents jusqu’au quatrième degré inclus
  • alertes par alliance jusqu’au quatrième degré inclus

Ce cadre favorise la transmission et la gestion familiale du patrimoine agricole.

l’objet agricole de la société  : une condition incontournable

Même lorsqu’il s’agit d’une société familiale, la cour impose que l’objet social soit agricole au jour où le congé est donné au locataire. Cela signifie que l’activité déclarée par la société doit concerner l’administration, la gestion ou l’exploitation directe ou indirecte de biens agricoles.

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Exemple  : dans un arrêt du 30 avril 2025 (cassation civile 3e, n°23-22354), la cour valide la reprise par une SCI familiale dont l’objet social mentionne clairement «  la propriété, la jouissance et l’administration des immeubles et droits immobiliers à destination agricole […] aux fins de création et/ou conservation d’une exploitation  ».

Tableau illustratif  :

type de sociétéobjet social requispossibilité de reprise sans délai
sci familialeagricoleoui
sci non familialeagricolenon (respect des délais requis)
sci familialenon agricolenon

analyse et portée de la décision judiciaire

Cette décision assure une meilleure sécurité juridique aux familles qui souhaitent gérer ensemble leur patrimoine foncier. Elle confirme que le caractère familial prime sur l’ancienneté dans certains cas, ce qui facilite la transmission intergénérationnelle. En revanche, elle rappelle que seule une société dont l’objet social est clairement agricole pourra bénéficier du régime favorable.

La décision évite ainsi les montages patrimoniaux détournés tout en permettant aux familles d’organiser librement leur exploitation. L’arrêt encadre strictement cette possibilité pour éviter tout abus au détriment du locataire exploitant.

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conseils pratiques et points de vigilance

Avant toute démarche de reprise, il convient pour chaque société concernée de  :

  • vérifier précisément que son objet social est bien agricole dans ses statuts actuels
  • s’assurer que tous les associés relèvent bien du cercle familial autorisé
  • prévoir une information claire au locataire sur le motif du congé et respecter le formalisme légal
  • anticiper d’éventuelles contestations en consultant un professionnel du droit rural ou un notaire spécialisé

Ces vérifications réduisent fortement le risque contentieux lors d’une procédure de reprise.

ce qu’il faut retenir sur la reprise par les sociétés familiales

La loi permet aux sociétés composées uniquement entre membres proches d’une même famille de reprendre plus facilement des terres agricoles données à bail. Pour bénéficier pleinement de cette exception, ces sociétés doivent veiller à inscrire dans leurs statuts un objet social explicitement lié à l’activité agricole. Cette protection renforce la capacité des familles à préserver leur patrimoine foncier tout en respectant strictement le statut du fermage et ses garanties pour le locataire.

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