Dans la vie d’une société, le rôle du dirigeant est central. Il prend des décisions qui engagent la société et peut, par ses actes, causer des conséquences positives ou négatives. Quand ces actes causent un dommage à la société, la question de la réparation se pose. Qui peut alors agir pour obtenir justice ? Les organes de la société, mais aussi, parfois, les associés. Le point mérite d’être clarifié, tant sur le plan juridique que pratique.
responsabilité du dirigeant et action en justice : qui peut agir ?
Le dirigeant est responsable envers la société s’il commet une faute qui cause un préjudice. Ce principe s’applique quelle que soit la forme sociale (société anonyme, SARL, SAS…). Face à une faute du dirigeant (gestion contraire à l’intérêt social, manquement aux statuts…), il existe plusieurs moyens d’action.
La question essentielle porte sur l’initiative de l’action en justice. Est-ce à la société seule d’agir contre son dirigeant fautif ? Les associés disposent-ils d’un recours direct ? Cette problématique s’est posée dans plusieurs affaires récentes.
le cadre juridique général de l’action en responsabilité contre le dirigeant
En droit des sociétés, c’est en principe la société, représentée par ses organes (souvent le représentant légal), qui agit quand elle subit un préjudice. La société dispose d’une personnalité propre distincte de celle des associés et du dirigeant.
Le préjudice social concerne un dommage touchant le patrimoine ou les intérêts de la société elle-même (perte financière, perte d’un marché…). Ce préjudice se distingue du préjudice personnel des associés, qui toucherait directement leur situation propre (perte de dividendes spécifique par exemple).
l’action des associés contre le dirigeant fautif : modalités et objectifs
Les associés peuvent vouloir agir eux-mêmes quand ils estiment que le dirigeant a nui à leur société. Cette démarche est connue sous le nom d’action sociale ut singuli. Elle permet à un ou plusieurs associés d’agir au nom et pour le compte de la société afin de demander réparation du préjudice subi par celle-ci.
Voici les conditions principales pour engager cette action :
- être associé au moment des faits ou au moment de l’action
- démontrer une faute du dirigeant
- agir dans l’intérêt de la société (la réparation vise le patrimoine social)
Tableau récapitulatif :
acteur | objectif de l’action | bénéficiaire de la réparation |
---|---|---|
société | réparer son propre préjudice | société |
associé(s) | agir dans l’intérêt social | société |
L’objectif reste toujours de réparer le dommage causé à la société elle-même, et non un préjudice personnel.
jurisprudence récente : arrêt du 7 mai 2025 et portée de la décision
La cour de cassation s’est récemment prononcée sur la question avec l’arrêt du 7 mai 2025 (n°23-15931). Jusqu’à ce point, un doute subsistait : les associés pouvaient-ils agir seulement si la société restait inerte (caractère subsidiaire), ou aussi si elle agissait déjà (action indépendante) ?
La haute juridiction confirme que les associés disposent d’un droit propre. Ils peuvent engager une action même si la société a elle-même intenté une procédure pour le même fait. Cela signifie que les deux actions peuvent coexister sans se neutraliser.
Ce choix offre aux associés une autonomie renforcée. Ils n’ont pas à justifier d’une carence ou inertie des organes sociaux. L’action n’est donc pas subsidiaire mais parallèle.
conséquences concrètes pour les associés et limites pratiques
Cette évolution présente des avantages pour les associés. Par exemple :
- ils peuvent défendre des arguments différents de ceux avancés par la société
- ils restent actifs même si la direction ne souhaite pas poursuivre ou néglige certains aspects
- ils évitent que certains faits soient oubliés ou minimisés
Exemple concret : un dirigeant prend une décision risquée sans consulter les associés et cause une perte importante. La société entame une action modérée par souci d’apaisement. Des associés souhaitent aller plus loin et faire valoir d’autres éléments devant le juge. Ils peuvent désormais agir sans attendre ni dépendre du rythme choisi par la direction.
Des limites existent néanmoins :
- l’action doit viser à réparer un préjudice subi par la société uniquement, pas celui des associés pris individuellement
- il faut respecter les règles procédurales (notification préalable éventuelle selon les statuts)
- le juge vérifiera que l’intérêt poursuivi est bien celui de la société
bilan et perspectives sur l’évolution du droit des sociétés
La jurisprudence récente clarifie et renforce les droits des associés. Leur capacité à défendre l’intérêt social ne dépend plus de l’inaction ou des choix stratégiques de leurs dirigeants actuels. Ce droit propre ouvre davantage de possibilités pour contrôler avec efficacité les décisions des dirigeants et protéger le patrimoine collectif.
Des interrogations demeurent sur la coordination entre actions parallèles pour éviter les incohérences ou doubles indemnisations. Les débats futurs porteront sans doute sur l’articulation précise entre ces actions et sur leur mise en œuvre pratique dans chaque type de structure.